Pour parler avec vos enfants première expatriation, annonce du départ et installation à l’étranger, j’ai interviewé une experte. Adélaïde Lefèvre est psychologue spécialiste de l’enfant en expatriation et la co-fondatrice du Réseau Psy Expat.
Parce que s’expatrier en famille est une magnifique aventure mais qui demande de relever bien des défis surtout pour une première expatriation, je lui ai posé 5 questions. 5 questions essentielles pour bien accompagner votre progéniture sur cette première expatriation. Elle nous livre une précieuse approche psychologique pour mieux comprendre les mécanismes psychiques des petits et accueillir leurs émotions.
QUI EST ADELAÏDE LEFEVRE ?
Spécialisée en psychologie de l’expatriation et dans l’accompagnement des plus jeunes, elle accompagne depuis de nombreuses années les enfants que l’on appelle « enfant de troisième culture” (“third culture kids”) : ceux qui grandissent dans la mobilité internationale et construisent leur identité dans un environnement multiculturel différent de ses origines.
S’expatrier, elle sait ce que cela signifie et les changements que cela implique. Sa toute première fois, c’était il y a 10 ans. Elle a vécu depuis dans 3 villes sur des continents différents (Bruxelles en Belgique, Bangkok en Thaïlande et Manille aux Philippines où elle exerce depuis 2014).
Elle est aussi la maman de 2 filles de 13 et 10 ans qui sont nées en France mais qui ont grandi à l’étranger.
LE RÉSEAU PSY EXPAT, C’EST QUOI ?
Psy Expat est un site web qui fonctionne comme un annuaire en ligne dans lequel sont référencés de nombreux psychologues spécialistes des questions de l’expatriation. Vous y trouverez des professionnels français et francophones établis aux 4 coins du monde et qui réalisent des consultations en face à face ou à distance par téléphone ou par Skype auprès d’expatriés.
L’idée est née début 2017 : Adelaïde Lefèvre était établie à Manille en tant que psychologue, elle a été mise en contact avec Gaëlle Pradillon, elle-même psychologue à Shanghai. Elles partageaient alors les mêmes questionnements concernant la pratique de leur activité à l’étranger. Après de très nombreux échanges virtuels pendant plusieurs mois, elles ont décidé d’organiser une rencontre avec des psy d’Asie à Bangkok fin 2017. Suite à cette journée professionnelle, Philippe Drweski, psychologue à Paris et spécialisé dans l’accompagnement au retour d’expatriation, les rejoint. En décembre 2017, ils ont créé tous les 3 une association sous la loi 1901 afin de donner une existence légale leur projet professionnel. Et c’est ainsi que naît le réseau Psy Expat.
Les enfants expatriés ont la particularité de vivre des séparations répétées du fait de leurs déménagements fréquents, leur monde psycho-affectif se développe différemment des enfants restés en France.
QUESTION 1
C’est la grande question que se posent les futurs expats parents, encore plus pour une toute première expatriation… Comment annoncer un départ à l’étranger, un déménagement à l’international ? Quand et comment dire à un enfant que l’on part vivre ailleurs ? Y a-t-il un bon moment ou un cadre idéal pour le faire ? Quels mots choisir ?
Tout va dépendre de l’âge de l’enfant car le rapport au temps est différent en fonction des âges. Un petit de 3 ans ne conscientise pas et ne se projette pas de la même manière qu’un jeune de 10 ans ou même un adolescent. L’expatriation est avant tout une décision d’adultes donc il est important que ces derniers soient moteur dans ce choix de vie et qu’ils soutiennent les questionnements des plus jeunes. Ils devront aussi être conscients que chacun est différent et que la fratrie ne rentrera peut-être pas tout de suite dans ce projet. Je conseille souvent aux parents de les préparer étape par étape, en évitant des effets d’annonce qui peuvent être parfois un peu violent et anxiogène :
- Parler d’abord de ce « futur » avec des mots simples en énonçant les raisons de cette envie de départ (ne pas seulement évoquer la raison professionnelle).
- Il est important de ne pas attendre le dernier moment car les petits vont avoir besoin de se préparer au changement : dire au revoir, se représenter la séparation, etc. Cela demande du temps et le psychique est plus long que le temps réel. Il n’est pas non plus nécessaire d’en parler constamment au risque que le présent en soit envahi et qu’il ne puisse pas continuer à profiter de chaque instant.
Il n’y a pas de règle préétablie sur le meilleur timing mais ils peuvent se référer à ce qu’ils ressentent. Se faire confiance en tant que parent et suivre ce qui nous semble le plus juste pour soi et sa progéniture. Par ailleurs, dissimuler le projet à ses enfants peut aussi créer du stress et engendrer des incompréhensions de sa part : sentiment d’exclusion, culpabilité, perte de confiance. En ce qui concerne le contenu du discours relatif à cette première expatriation, il est important d’être en accord avec soi-même tout en choisissant les bons mots, ceux qui feront écho aux plus jeunes.
Il est important de dire ce qui changera : le pays, la langue, l’établissement scolaire, etc. Mais également ce qui ne changera pas : ses parents seront là, il ira à l’école. Ces grands éléments de son quotidien resteront.
En parlant ainsi, il peut plus aisément se représenter sa nouvelle vie. Montrer des photos de la ville, de la maison, de l’école est un bon moyen de l’aider à construire psychiquement le projet. Le livre « Ulysse petit expat » est un très bon support pour vous aider à parler de cette première installation à l’étranger avec eux. De plus, il est important de ne pas idéaliser ce projet et d’en donner une image réaliste afin d’éviter au rêve de se confronter trop violemment à la réalité lors de votre arrivée dans le pays. Enfin, laissez-le s’exprimer, écoutez-le, demandez-lui ce qu’il en pense : ce sera une manière de le rendre actif dans ce projet parental.
QUESTION 2
Au sein de la fratrie, comment gérer les différences d’âge pour annoncer cette grande première et le départ ? En effet, on ne s’adresse pas de la même manière à un petit de 2 ans, de 6 ans ou de plus de 10/12 ans, non ? Que conseillez-vous aux parents ?
De 2 à 4 ans, il percevra l’émulation du départ à la maison mais ne réalisera vraiment le changement que lors de son arrivée. Dans la préparation de cette grande première, il sentira le stress, mais ne réalisera pas qu’il devra tout quitter. A ce jeune âge, on se sent sécurisé par son environnement familial, donc en cette période de transition il pourra être déstabilisé par le changement de rythme de vie et le stress autour de lui.
Entre 5 et 10 ans, il réalisera davantage le changement en amont, il faudra donc veiller à le rassurer tout en étant transparent avec lui.
Pour un adolescent, cela est bien différent car pour lui sa sécurité affective, c’est son groupe d’amis, il pourra donc avoir des réactions très négatives, ou opposantes au projet.
Je pense qu’il est à la fois important d’en faire un projet familial mais également que chaque individu puisse s’approprier spécifiquement cette première expatriation. Je vous conseillerai donc d’alterner avec :
Des échanges tous ensemble ou chacun peut s’exprimer au sein du groupe
Mais également de réserver des temps plus personnels où chacun pourra s’exprimer à cœur ouvert, faire part de ses propres émotions.
L’enfant aura besoin d’être rassuré et mis en confiance sur ses capacités à gérer cette nouvelle situation.
QUESTION 3
Une première expatriation peut être perçue comme un immense chamboulement et une formidable aventure pour chaque membre de la famille… Quelles sont les réactions auxquelles les parents doivent s’attendre vis-à-vis de leur(s) enfant(s) lors de cette annonce ? Peut-on estimer que plus ils sont petits, mieux l’annonce est vécue ? Et y a-t-il des âges plus faciles que d’autres pour vivre une première expatriation ?
L’enfant peut avoir des réactions très vives (émotivité, pleurs, agressivité, rejet, opposition, anxiété) mais cela ne veut pas nécessairement dire que l’expatriation se passera mal.
Par ailleurs, certains ne vont pas réagir tout de suite mais réagiront à l’arrivée dans le pays (anxiété, régression, baisse d’estime de soi…).
Il est important d’être conscients en tant que parents qu’une première expatriation implique un changement de vie et peut provoquer un sentiment d’insécurité alors que son besoin fondamental est la sécurité !
Il est difficile de faire des généralités sur ces questions car on observe de nombreux cas de figures. Cependant, il est vrai que l’adolescence peut être une période plus difficile (elle est déjà en soit un moment de fragilité) du fait que l’adolescent construit son identité au contact de ses amis. Il est très proche de ses amis et a besoin d’eux pour se construire. Cependant j’ai vu des ados qui étaient très positifs au changement car ils étaient peu épanouis dans leur vie en France ou des très jeunes qui le vivaient difficilement. La manière dont les parents vont vivre et présenter ce changement est évidemment à prendre en compte car on observe souvent des réactions émotionnelles en ricochet du parent à l’enfant.
QUESTION 4
Dans le cadre d’une première expatriation, comment nous adultes pouvons-nous essayer de mieux les préparer à ce grand changement de vie ?
L’aider à cultiver la confiance en lui est évidemment un essentiel qui lui permettra de se sentir capable de rebondir face à cette situation déstabilisante. Rappelez-lui les autres moments durant lesquels il lui na fallu puiser en lui les ressources pour surmonter des difficultés : c’est un bon moyen de lui rappeler qu’il est capable.
Face au découragement ou à la tristesse, maintenez vos rituels et vos habitudes familiales : ce sera de formidables repères qui équilibreront l’inconstance de cette situation « première expatriation ».On pourra également le soutenir avec l’utilisation d’un « journal » ou lui proposer de créer un blog privé (gratuit sans pub 100% sécurisé) même blog qui lui permettront de raconter ce qu’il vit, de le partager et de garder le lien présent.
A l’arrivée sur place, je conseille souvent d’inviter rapidement un copain pour jouer à la maison afin de stimuler la mise en place des nouveaux liens.
QUESTION 5
En tant que maman multi expatriée, un dernier conseil pour les futurs expats parents ?
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Tout d’abord, l’adulte devra constituer sa boite à outils : les maître-mot seront créativité, communication, patience, écoute pour gérer avec bienveillance les moments de tension de cette première et grande aventure.
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Adopter une attitude « coach » permettra au petit de se sentir à la fois soutenu et écouté.
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Parallèlement, il ne faut pas avoir peur des moments de blues, ne pas les éviter à tout prix car ils sont aussi importants pour que l’angoisse, la nostalgie, la tristesse puissent s’exprimer.
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Et quand on n’y arrive pas seul, il est important de ne pas hésiter à demander l’aide d’un professionnel de notre réseau Psy Expat. Faire intervenir un tiers sera un moyen d’éviter qu’une situation ne se crispe et mette en danger l’équilibre psycho-affectif de la famille.
Pour une première installation à l’étranger, n’hésitez pas à opter pour le coaching ou un accompagnement avec un professionnel du réseau Psy Expat. L’accompagnement avec des professionnels peut s’avérer salvateur. Ils peuvent apporter soutien et conseils précieux à toute la famille ou à un membre particulier à chaque étape du processus de votre première expatriation.